Arrêté grand-ducal du 26 juillet 1944 concernant l'état de siège.

Nous CHARLOTTE, par la grâce de Dieu

Grande-Duchesse de Luxembourg, Duchesse de Nassau, etc., etc., etc.;

Vu l'art. 57 du Code Pénal Militaire du 1er novembre 1892, statuant que l'état de guerre résulte... soit d'une déclaration de guerre faite au Grand-Duché par un Etat étranger, soit du fait d'hostilités entreprises à main armée contre le Grand-Duché par une puissance étrangère»;

Vu l'art. 53 du décret du 24 décembre 1811 relatif à l'organisation et au service des Etats-Majors de place: «l'état de siège est déterminé par décret de l'empereur ou par l'investissement ou par une attaque de vive force ou par une surprise...» réglant l'institution de l'état de siège effectif; Considérant que la sécurité des armées de libération opérant sur le territoire luxembourgeois, le maintien de l'ordre public, le rétablissement de la légalité, la sauvegarde des besoins de la population après l'occupation ennemie, requièrent l'organisation de l'état de siège pendant la période durant laquelle s'opérera la libération du pays;

Vu l'art. 2 de la loi du 29 août, 1939 portant extension de la compétence du pouvoir exécutif, combiné avec l'art. 1er de la loi du 28 septembre 1938 autorisant le Gouvernement: «à prendre par des règlements d'administration publique les mesures nécessaires pour préserver tant l'ordre économique que la sécurité de l'Etat et des personnes»;

Considérant qu'il y à lieu d'instituer un régime d'attribution de pouvoirs suffisamment souple pour permettre de choisir les autorités les plus efficaces pour être investies de ces pouvoirs essentiels;

Considérant que l'occupation du territoire rend impossible la procédure législative normale;

Considérant que cette situation, due au fait de l'agresseur, ne saurait ni enlever au Gouvernement le droit ni le dispenser du devoir de défendre l'existence de l'état et d'en assurer la continuité;

Sur le rapport et après délibération du Gouvernement en Conseil;

Avons arrêté et arrêtons:

Art. 1er.

Durant la période de la libération du pays, la Grande-Duchesse peut, de l'avis conforme du Conseil du Gouvernement, déclarer et lever l'état de siège.

L'arrêté grand-ducal, déclarant ou levant l'Etat de siège, désigne les parties du territoire auxquelles il s'applique.

Art. 2.

Dans la partie du territoire auquel s'applique l'Etat de siège, le ou les Ministres désignés par la Grande-Duchesse peuvent:

(1) Exercer tous les pouvoirs de police et notamment ceux qui sont relatifs:
a) au maintien de l'ordre;
b) au service des voies et communications;
c) à la circulation;
d) à la police sanitaire et à l'hygiène ainsi qu'à la protection passive des populations contre les attaques aériennes.
(2) Ordonner la remise des armes et des munitions, délivrer des autorisations temporaires d'en détenir, et faire procéder par des officiers de police judiciaire à leur recherche et à leur enlèvement.
(3) Interdire les réunions publiques ou régler l'exercice de la liberté de réunion.
(4) Surveiller, retenir ou saisir la correspondance.
(5) Eloigner des lieux où elles se trouvent, au besoin interner, toutes personnes dont la présence est de nature à nuire aux opérations militaires.
(6) Prendre les mesures nécessaires pour empêcher l'introduction, la circulation, la mise en vente et la distribution des journaux, brochures, écrits, dessins ou images, films cinématographiques de nature à favoriser l'ennemi ou ébranler le moral des armées ou des populations.

Art. 3.

Les pouvoirs déterminés à l'article précédent peuvent être délégués aux commissaires de district par le Ministre, désigné par application de l'alinéa (1) du dit article.

Les pouvoirs qui seraient conférés au Ministre de la Force Armée, par application de l'article précédent, peuvent être exercés sous sa direction et sa responsabilité, par les autorités militaires désignées par la Grande-Duchesse.

Art. 4.

Le Ministre de la Justice, ou sous sa direction et sa responsabilité, les autorités civiles et militaires désignées par arrêté grand-ducal, peuvent faire procéder par des officiers de police judiciaire à des perquisitions de jour et de nuit dans les domiciles de citoyens ou à des explorations corporelles. Si l'exploration est faite sur une personne du sexe féminin, il y sera procédé, à la réquisition de l'officier de police judiciaire, soit par un médecin, soit par une femme.

Art. 5.

Les juridictions militaires connaissent, quelles que soient les qualités des auteurs principaux ou complices des crimes et délits prévus par les art. 101-136 du Code Pénal.

Art. 6.

Les autorités militaires peuvent, pendant le cours des opérations, en cas d'urgence et de nécessité, pourvoir à l'administration des communes ou à l'alimentation de la population.

Art. 7.

Il est interdit de publier des journaux, brochures, écrits, dessins, images, films cinématographiques, ou de répandre, de quelque manière que ce soit, dans des lieux de réunion publics, des informations et renseignements de nature à favoriser l'ennemi ou à exercer une influence fâcheuse sur l'esprit des armées et des populations.

Art. 8.

En cas de difficultés de ravitaillement, ou lorsque les communications sont interrompues entre le siège d'une circonscription judiciaire ou le chef-lieu d'un arrondissement administratif et une partie de celles-ci, un arrêté grand-ducal peut, soit rattacher temporairement cette partie à une autre circonscription, soit transférer le siège ou le chef-lieu dans une autre localité de la même circonscription ou d'une circonscription voisine, soit fusionner temporairement différentes communes ou parties de commune.

Art. 9.

Un arrêté grand-ducal peut, pendant la durée des opérations de libération, autoriser la réquisition du personnel et du matériel nécessaire pour assurer, en cas d'urgence, la sécurité publique, le maintien de l'ordre et de la police, l'hygiène, l'alimentation et les secours, les transports et les communications.

Cette réquisition sera faite autant que possible dans les formes et conditions déterminées par la loi du 22 germinal an IV autorisant la réquisition des ouvriers pour les travaux nécessaires à l'exécution des jugements, respectivement Ia loi du 10 juillet 1791, le décret du 13 décembre 1792, les décrets des 9 mars et 23 août 1793, la loi du brumaire an III, régissant la réquisition militaire.

Art. 10.

Les arrêtés et règlements pris en exécution du présent arrêté suspendent l'exécution des arrêtés, règlements et ordonnances incompatibles avec leurs dispositions.

Ils demeurent en vigueur, en état de siège, jusqu'à abrogation expresse par arrêté grand-ducal conformément à l'art. 1er.

Art. 11.

Les infractions aux arrêtés et règlements pris en exécution du présent arrêté sont punies d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 1000 à 10.000 francs.

Les arrêtés et ordonnances sont publiés par affiche. Ils sont obligatoires dès l'affichage ou à tel moment ultérieur déterminé par les arrêtés ou ordonnances.

Art. 12.

Toute infraction aux dispositions de l'art. 7 sera punie d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 100 à 1.000 francs.

La connaisance en est déférée aux tribunaux correctionnels, sans préjudice à l'application des circonstances atténuantes.

Sous réserve du droit des tiers aucune poursuite ne peut être exercée du chef de publications qui ont été régulièrement autorisées.

Art. 13.

Toutes les dispositions du Livre premier du Code Pénal sont applicables aux infractions visées aux art. 11 et 12 qui précèdent.

Art. 14.

Le présent arrêté grand-ducal entrera en vigueur le jour de sa publication au Mémorial.

Le Ministre d'Etat,

Président du Gouvernement,

P. Dupong.

Le Ministre des Affaires Etrangères,

Jos. Bech.

Le Ministre du Travail,

P. Krier.

Le Ministre de la Justice,

V. Bodson.

Londres, le 26 juillet 1944.

Charlotte.