Arrêt de la Cour Constitutionnelle n° 92/13 du 19 mars 2013.

Dans l’affaire n° 00092 du registre

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, introduite par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, suivant jugement du 12 juillet 2012, n° 27937a du rôle, parvenu au greffe de la Cour constitutionnelle en date du 16 juillet 2012, dans le cadre d’un litige opposant

la société anonyme Bâloise (Luxembourg) Holding S.A., établie et ayant son siège social à L-8070 Bertrange, 23, rue du Puits Romain Z.A.I. Bourmicht,

à

la Chambre de Commerce du Grand-Duché de Luxembourg, établie à L-1615 Luxembourg, 7, rue Alcide de Gasperi,

La Cour,

composée de

Georges RAVARANI, vice-président,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseiller,

Monique BETZ, conseiller,

Romain LUDOVICY, conseiller,

greffier: Lily WAMPACH

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 15 octobre 2012 par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour la société anonyme Bâloise (Luxembourg) Holding S.A., le 17 octobre 2012 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour la Chambre de Commerce, les conclusions additionnelles déposées le 16 novembre 2012 par Maître Jean-Pierre WINANDY, pour la société anonyme Bâloise (Luxembourg) Holding S.A., et celles déposées le 22 novembre 2012 par Maître Patrick KINSCH, pour la Chambre de Commerce,

ayant entendu les mandataires en leurs conclusions à l’audience du 25 janvier 2013,

rend le présent arrêt:

Considérant que, saisi d’un recours en annulation de la part de la société anonyme Bâloise (Luxembourg) Holding S.A., dirigé contre une décision de la Chambre de Commerce portant, moyennant émission d’un bulletin de cotisation, fixation de la cotisation annuelle, sur le fondement de la loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de commerce, en abrégé «la loi du 26 octobre 2010», qui a servi de base habilitante au règlement déterminant les modalités de fixation de la cotisation et dont la constitutionnalité est contestée, le tribunal administratif a déféré à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante:

«L’article 16, alinéa 2 de la loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de Commerce, en ce qu’il a entendu accorder à la Chambre de commerce un pouvoir réglementaire en vue de l’exécution des lois, en attribuant à celle-ci le droit de fixer les modalités de calcul des cotisations par son «règlement de cotisation» est-il conforme aux articles 36, 76, alinéa 2 et 108bis de la Constitution?»;

Considérant que l’article 16 de la loi du 26 octobre 2010 dispose:

«Pour faire face à ses dépenses, la Chambre de Commerce est autorisée à percevoir:

de ses ressortissants une cotisation annuelle;
des droits ou rétributions en rémunération des services qu’elle rend.

Les modalités de calcul des cotisations annuelles à percevoir par la Chambre de Commerce sont fixées par celle-ci dans son règlement de cotisation soumis à l’approbation du Gouvernement (…)»;

Que selon l’article 36 de la Constitution: «Le Grand-Duc prend les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois»; que d’après l’article 76, alinéa 2, de la Constitution, il peut «dans les cas qu’il détermine, charger les membres de son Gouvernement de prendre des mesures d’exécution»;

Que l’article 108bis de la Constitution dispose: «La loi peut créer des établissements publics, dotés de la personnalité civile, dont elle détermine l’organisation et l’objet. Dans la limite de leur spécialité le pouvoir de prendre des règlements peut leur être accordé par la loi qui peut en outre soumettre ces règlements à l’approbation de l’autorité de tutelle ou même en prévoir l’annulation ou la suspension en cas d’illégalité, sans préjudice des attributions des tribunaux judiciaires ou administratifs»;

Considérant que la Chambre de Commerce est un établissement public, l’article 1er de la loi du 26 octobre 2010 lui conférant expressément ce statut;

Que l’article 108bis de la Constitution ne pose pas de conditions au législateur pour conférer à une personne morale de droit public le statut d’établissement public;

Considérant que l’article 36 de la Constitution confère au Grand-Duc un pouvoir général d’exécution des lois qui lui permet, en l’absence de tout texte légal, de prendre, conformément à l’esprit et à l’objet de la loi, sous réserve des dispositions de l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, des règlements d’exécution qui n’étendent, ni ne restreignent la portée de la loi;

Que par des lois spécifiques, le législateur peut habiliter le Grand-Duc ainsi que, conformément aux articles 11, paragraphe 6, alinéa 2, de la Constitution, les organes professionnels y visés et, conformément à l’article 108bis de la Constitution, les établissements publics, à prendre des règlements d’exécution dans des matières déterminées;

Que le pouvoir normatif des établissements publics est tributaire du principe de spécialité dans leur domaine de compétence et reste réservé à des mesures de détail précises, de nature technique et à portée pratique, destinées à permettre à celles-ci l’exercice, de façon autonome, d’une mission de régulation sectorielle facilitant la mise en œuvre des normes établies par la loi et, le cas échéant, le règlement grand-ducal;

Considérant qu’il ressort de la combinaison des articles 36 et 108bis de la Constitution que, dans un tel domaine de spécialité, le Grand-Duc et les établissements publics ont vocation à exercer un pouvoir réglementaire concurrent et que le pouvoir réglementaire du Grand-Duc se trouve ainsi restreint dans la limite du pouvoir réglementaire accordé à l’établissement public moyennant habilitation législative;

Que, loin d’être en contradiction avec ces principes, la loi du 26 octobre 2010 en constitue une application régulière dans la mesure où elle prévoit, en ses articles 5 et 16, la détermination par règlement grand-ducal de l’organisation de la Chambre de Commerce, du mode et de la procédure d’établissement du rôle des cotisations et de la procédure de perception des cotisations, tandis que les articles 16 et suivants de la loi prévoient les modalités techniques de calcul des cotisations annuelles à percevoir par le biais d’un règlement de cotisation à prendre par la Chambre de Commerce elle-même sur la base de critères exactement déterminés par la loi;

Que l’article 16, alinéa 2, de la loi du 26 octobre 2010, en ce qu’il accorde à celle-ci un pouvoir réglementaire en vue de l’exécution des lois et en attribuant à celle-ci le droit de fixer les modalités de calcul des cotisations par son «règlement de cotisation», n’est donc pas contraire aux articles 36, 76, alinéa 2, et 108bis de la Constitution;

Par ces motifs:

dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 16, alinéa 2, de la loi du 26 octobre 2010 portant réorganisation de la Chambre de Commerce, en ce qu’il accorde à celle-ci un pouvoir réglementaire en vue de l’exécution des lois et en attribuant à celle-ci le droit de fixer les modalités de calcul des cotisations par son «règlement de cotisation», n’est pas contraire aux articles 36, 76, alinéa 2, et 108bis de la Constitution;

ordonne que dans les 30 jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, recueil de législation;

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la deuxième chambre du tribunal administratif et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique extraordinaire par Monsieur Georges RAVARANI, vice-président, en présence de Madame Lily WAMPACH, greffier.

Le vice-président,

signé: Georges Ravarani

Le greffier,

signé: Lily Wampach